Un projet d’éducation artistique et culturelle au Lycée Jean Renou de La Réole
2021-2022
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« L’arbre qui cache la forêt »…
À regarder l’arbre, nous oublions la forêt. Concentrée en un point, notre attention perd l’ensemble, comme si l’esprit ne pouvait, pour saisir quelque chose, que rompre le lien entre l’être et le lieu. Geste d’abstraction, utile à la conception rationnelle mais geste de soustraction, qui réduit à néant la complexité des interdépendances.
Alors comment exercer notre faculté d’attention avec justesse ?
« Un tiers des arbres de la planète seraient menacés d’extinction », titrait Le Monde, début septembre. L’équivalent de 50 terrains de football de forêt disparaît chaque minute depuis l’an 2000. Pourquoi avons-nous du mal à voir la forêt disparaître ? Parce qu’autour de nous la sylviculture apparaît raisonnée ? Parce que le bruit des tractopelles n’environne pas notre habitat ?
Si un arbre de 50 mètres de hauteur a une surface d’échanges gazeux de 37 hectares et une surface d’échanges souterrains de 162 hectares, quelle surface d’échanges biologiques disparaît avec chaque surface boisée équivalente à un terrain de football ?
Pourtant gavés d’images et de chiffres, nos cadrages ne semblent pourtant pas les bons pour vraiment prendre la mesure. Nous voyons, nous savons, mais nous ne comprenons pas. Les chiffres seraient-ils les masques du vivant, au sens où ils cacheraient tout en indiquant la nature du désastre ? Mais si ce n’est la langue des chiffres, quelle langue parler pour dire ce qui s’efface ?
Chiffrer, mesurer, quantifier est utile et nécessaire à la gestion « durable » ou moins soutenable de la nature. Cela permet de calculer des rendements. Dans cette langue, on dresse l’inventaire, on zone, sectorise, aménage, organise. La forêt est un capital. À protéger puisqu’il est nécessaire aux vivants ou à faire fructifier si l’on peut en tirer profit par l’exploitation, la vente ou le carbone trading.
Mais le compte est-il bon ? Les chiffres sont-ils l’arbre qui cache la forêt ? Le calcul des données ne finit-il pas par se substituer à la réalité elle-même ? Ces êtres souterrains, ces processus biologiques, ces coévolutions, tout ce « tissu du vivant » présent sur Terre depuis des milliards d’années sont-ils pris en compte ? La forêt peuplée et nourricière, matrice de mythes, de contes, de magie, de poésie, se laisse-t-elle traduire en lignes de comptes ?
À travers ce projet pédagogique, nous aimerions chercher la forêt, tourner notre attention vers le sensible et l’écoute mais aussi en réactiver l’imaginaire dans un grand Carnaval. Irréductible à un champ d’arbres, la forêt sera pour nous source d’inspiration, d’imaginaire, de découvertes.
Forêt d’Artémis, vierge des bois régnant sur les contrées interdites. Forêt nocturne, magique, forêt des druides, sorcières, chamanes et mystiques. Forêt asile, refuge des fugitifs, cachette des fous et des brigands, peau des ermites, proscrits et vagabonds. Forêt des luttes, du braconnage, des hors-la-loi, guerres des forêts, des enclosures, repaire des Maquisards, Demoiselles, Résiniers, Zadistes…
Lieu d’aventure et d’apprentissage, lieu du brouillage, du camouflage, du déguisement, la forêt mêle les vivants. Le citoyen n’est plus personne. Il perd son nom, devient une ombre, une proie, du bruit et des mouvements, un animal, un dieu parfois. « Locus neminis », la forêt est lieu d’indécision où l’inanimé se transforme, la terre devient ciel, le mâle femelle. Lieu de passage, elle agit comme un lieu d’inversion et de métamorphose des identités.
En Occident, la dialectique du sauvage et de la civilisation traverse la forêt. La civilisation se construit sur les ruines du sauvage mais en détruisant le sauvage et ses habitants, elle se détruit elle-même, alors elle s’attache à protéger ce qu’elle appelle « nature » dans des zones délimitées.
Mais cette dialectique est la chair de bien des conflits. La forêt résonne, derrière l’arbre, de toute une histoire politique et juridique En France, par exemple, ce lieu commun ouvert à tous, offrant du bois pour se chauffer, des fruits à cueillir et des animaux à chasser, devint le terrain de chasse réservé au loisir du Roi, puis le domaine de la Couronne, déclaré inaliénable en droit mais en partie vendu pour compenser les dépenses militaires. Patrimoine de la nation à la Révolution, elle est aujourd’hui au cœur des querelles opposant l’impératif productiviste aux politiques économiques environnementales.
Que reste-t-il de toute cette épaisseur culturelle, historique et politique ? Que sommes-nous capables d’en comprendre ? Peut-on apprendre et s’amuser des symboles, en préparant un Carnaval, agitant l’ordre et les hiérarchies établies ?
À travers ce projet, nous aimerions redonner aux élèves le goût d’être ensemble, de vivre des liens qui s’éprouvent au-delà du virtuel et de l’entre-soi. Afin que chacun cherche sa place aux côtés des autres, pour faire forêt et grandir ensemble en quelque sorte.
Les arbres excellent dans l’art de tenir debout…
Professeur référent : Sandra MEVREL
sandra.mevrel@ac-bordeaux.fr